Sous les plumes enfantines (Béatrice 12 ans en 1943 et Florence 11 ans), les bombardements, la peur, l’omniprésence des Allemands surgissent des mots. Le journal de Béatrice s’arrête brusquement le 27 janvier 1944 pour reprendre le 3 décembre. Mais un tas d’événements traversent cette année, que Florence relatera. C’est ainsi que, pour la cohérence du récit, j’ai décidé de publier le regard croisé de deux petites filles sur la guerre.
Ces fillettes portent un patronyme qu‘ont porté 4 sœurs : Flore, Zoé, Irénée, Amélie. De ces femmes, il reste des écrits. Leurs descendants écrivaient et écrivent : Octave Pirmez, fils d’Irénée, poète bien oublié, que Marguerite Yourcenar a sorti de l’ombre dans Souvenirs pieux, évoquant Rémo, le contestataire de la famille. Marguerite Yourcenar, elle, descend de Flore et de Zoé. Les petites filles, dont on lira ici les extraits, ont comme aïeule Amélie. Moi-même je descends de la dite Amélie. Ainsi fricotent à travers l’espace les gènes invisibles.
Des fragments de ces journaux ont paru dans Lydia, l’éclat de l’inachevé, éd. Michel de Maule, 2007.
Extrait
Journal de Béatrice
Jeudi 7 octobre 1943
Une nuit d’étoiles étincelantes mais sans lune, papa et moi regardons brûler une ferme du côté de Mondron tandis que des avions en masse passent pendant des heures, quel chambard, quel cauchemar ! Nous sommes allés sur la terrasse papa et moi : l’incendie brûlait toujours, les étoiles brillaient toujours, les avions passaient toujours. Au milieu de tout ce bruit, j’ai entendu un petit « miaou » plaintif, un chat que j’ai pris dans mes bras. Papa dit : « Ils doivent passer par milliers, c’est la RAF qui s’en va bombarder l’Allemagne. – Oh ! Oui, que je réponds, ils son bien nombreux, et regarde l’incendie, c’est un gros ! » A ce moment on entend un bruit de moteur différent : « Un chasseur, dit papa. – Alors, nous aurons une bataille ? demandai-je. – C’est possible, dit papa, mais il est temps d’aller dormir. »
Les moments littéraires, n° 15, 2006