Court traité de l’indignation

Depuis 50 ans, sous le diktat de la Flandre et du CVP, la Belgique, minée par ses querelles linguistiques, donnait à l’étranger l’image désastreuse d’un petit pays sans opinion vis-à-vis des problèmes internationaux. Aujourd’hui, elle monte au créneau. Elle a même promulgué la loi du 16 juin 1993, donnant « compétence universelle » aux tribunaux belges pour les crimes contre l’humanité et le génocide…. L’ensemble de la presse française reconnaît que « montrée du doigt il y a peu pour des affaires de corruption, de pédophilie et de dioxine, la Belgique se sent aujourd’hui assez sûre d’elle pour afficher une politique internationale éthique et courageuse ». Que s’est-il donc passé ? Un changement de régime tout simplement.

[…] On pourrait écrire un court traité de l’indignation, cette vertu oubliée qui, si elle n’est pas porté par une volonté, reste lettre morte. Que le monde s’arme, non par les armes, mais par l’indignation. Indignation contre les génocides, les enfermements arbitraires, les corruptions, le mensonge organisé. Ce sont les livres qui ont fait tomber le mur de Berlin, dit Elie Wiesel, et non l’économique, le politique, les affairistes. Les livres disent les affres de l’individu face à l’Institution souvent broyeuse qu’est l’Etat, la soif des lendemains qui chantent et ne viennent jamais, la stupeur de cette défaite, et aussi, la remise en question de ce Dieu qu’on a voulu tuer, qu’on a dit mort, et qui semble ressusciter… Ne peut-on pas s’indigner que, ce qu’il y a de plus grand en l’homme, sa faculté d’atteindre à une morale, soit à peine pris en compte dans le projet du « nouvel ordre mondial », dans le formidable gâchis qui secoue le monde et dont sortira peut-être quelque chose, oui, une chose ou un sujet. C’est le défi de l’Europe ici maintenant.

Europe plurilingue n° 19, Éditions Arles, mai 2000