Maisons et Maisons intérieures

La maison de mon enfance perturbe souvent mes rêves. Elle est là, et je suis à l’extérieur. Des personnages me parlent et actionnent des objets, je leur demande mon chemin. Ils me montrent et j’entre dans le hall où maman me dit quelques mots. J’éprouve une grande difficulté à descendre, je côtoie des murs nus comme il en existent dans les caves des châteaux forts, gris et propres, sans décor, avec des passages voûtés sans portes, des couloirs dont j’aperçois une lueur au loin, mais je n’y arrive jamais, des gens me parlent, je les écoute, ils me distraient et je ne sais plus ce que je cherchais, je suis maintenant dehors, le rosier a des roses sur le mur de la maison, Béatrice me parle, elle m’explique où elle demeurait, guérie maintenant, et j’éprouve une grande joie, que je dois sur l’heure partager avec maman impérativement, la maison est là avec ses chambres et son salon, sa cheminée et ses bûches, papa dans son fauteuil et maman dans le bureau, mes sœurs et mon frère puis, ils disparaissent et je dis à maman, « j’ai vu Béatrice, elle est vivante, je l’ai vue ». Et tout le monde cherche Béatrice qu’on ne trouve pas et je dis « je sais qu’elle est vivante, je l’ai vue ». Tout le monde me regarde, les visages sont de bois, je vois que tout le monde fait semblant de chercher et que tout le monde sait qu’elle est morte.

Le Non-Dit, N° 75

Pour moi, l’écriture c’est…

… c’est se nettoyer de soi. Jeter aux ronces le moi haïssable. Choyer le moi de l’autre. L’éprouver jusque dans ses noirceurs, revenir à soi, indemne. Connaître l’étranger, le danger, le haut et le bas, les mille nuances de la haine et de l’amour. Derrière des paroles banales, saisir le frémissement d’une détresse cachée. Capter l’énigme d’un sourire, l’éloquence d’un silence, tout ce qui se dissimule, se dérobe, se dissous dans les abysses, quand les mots meurent et que parlent les corps.

Le Non-Dit, Juillet…

Interview 1985

– Pourriez-vous nous citer quelques noms ?
– Parfois je m’imagine dans mon cercueil, me tournant, retournant et me disant : nom d’un chien, j’aurais dû dire ceci à celui-là, cela à celui-ci. Le cercueil part à une allure folle vers la mémoire retrouvée. Là grouillent les gens innombrables que j’ai côtoyés, qui me côtoient dans les vers et les insectes et me rongent et me chatouillent et se permettent dès lors de me faire rire sous leurs froids et vertueux baisers. Je peux mettre des noms sur les vers. Des noms illustres. Redoutables. Reconnus. Méconnus. A courant d’air. Historiques ; D’emprunt. Enviés. Princiers. Funestes. Des noms obscurs qu’on célèbre. Des célèbres qu’on oublie. Vous en voulez vraiment ? Je vous abandonne quelques initiales : P.M., J.S., F.L., J.I., E.S., S.B., P.S, A.R., D.R, …

Revue de l’Université de Bruxelles, La Belgique Malgré tout, littérature 1980, éditions de l’Université de Bruxelles, 1980