Texte de Huguette de Broqueville, paru dans la revue de l’association Charles Plisnier, Francophonie vivante, dont le thème est Feu et ombre. Revue trimestrielle n°4, décembre 2007, page 15.
L’essai, De la guerre de l’ombre aux ombres de la guerre, de
Laurence van Ypersele et Emmanuel Debruyne, m’a plongée dans la
guerre de 1940-1945 qui traverse mon propre livre Lydia, l’éclat de
l’inachevé, publié à Paris aux Éditions Michel de Maule.
Cette fiction est basée sur des documents authentiques de la
Résistance que Lydia, chef de secteur de l’ Armée Secrète, aurait dû
détruire, mais qu’ elle avait gardés au mépris de toute prudence. Des
extraits de ces documents paraissent en notes à la fin du roman ainsi
que quelques pages des « journaux de deux petites filles pendant la
guerre » qui éclairent les allées et venues de Lydia dans cette période
troublée.
Je ne puis, ici, m’empêcher, très courtement, de faire un parallèle
entre l’ essai et le roman.
Laurence van Ypersele et Emmanuel Debruyne défendent la
thèse de l’importance des souvenirs de 1914-1918 dans le vécu belge
de 1940-1945. Je souscris entièrement à cette thèse, et à son développement
dans les diverses idéologies qui animaient les espions de la
grande guerre. Mon personnage, Lydia, elle aussi, avait la conception
romantique de l’ espion. Centenaire , elle a vécu les deux guerres ainsi
que la guerre froide, le génocide rwandais et même la guerre du
Kosovo en 1999. Son propre vécu et celui de sa famille sont imprégnés
de la violence qui traverse le siècle et, par le fait même, le
roman. À quinze ans, Lydia est en Angleterre où sa famille a pris
refuge. Sur le toit du Sacré-cœur, elle assiste au mitraillage d’un zeppelin
mortellement pris dans les faisceaux de lumière et le raconte
dans son journal. Le vécu pris à la gorge, qui éclaire les agissements
de Lydia en 1943.
De la guerre de l ‘ombre aux ombres de la guerre est un essai
passionnant , magistralement élaboré et bâti . Les faits, appuyés sur
des archives , à la fois accentuent et nuancent les ressemblances entre
les deux époques . L’évocation d’anecdotes ajoute du liant à l’austérité
et à la minutie de l’analyse scientifique. La retranscription de
descriptions, les extraits des journaux, rendent l’atmosphère du
temps, donnent vie aux événements, exhument des détails, tissent
une trame serrée de vécus qui s’entrecroisent et rendent la lecture de
cet essai aussi fluide et dense que celle d’un roman.
Pourtant , il me semble que le roman , mieux que l’essai, a le pouvoir
d’incarner et de vivifier les faits du passé. De toucher au vertige existentiel.
C’est la raison même de la forme romanesque de Lydia,
l’ éclat de l’inachevé. Lydia , personnage de la réalité , est devenu, par
la grâce de l’écriture et des condensations biographiques, un être de
lettres , comme dirait Valéry, mais pétri de chair et de sentiments.
En ce qu’il diffère de l’essai ou de la biographie, le roman a le
pouvoir de plonger au cœur du mentir-vrai de la création littéraire.
Comme le chat qui lèche et couture de salive chaque poil de chaque
morceau de son corps , sur la trame du déjà-tout-fait , sur le canevas
de la réalité , nous assistons aux joyeux mensonges d’une langue
mouillée de non-savoir. Car c’est là que se passe la création littéraire,
au sein du non-savoir, à la strate la plus profonde, ce point intime et
ultime de l’étincelle et sa mise à mots . Le long et allègre processus
de la mise à mort du néant , même si le créateur l’a « oublié » , le
roman seul a le pouvoir de le saisir et de l’ élaborer. À cet égard. j ‘adhère
totalement à l’opinion de Broch et de Kundera : « la raison d’être
du roman est de dire ce que lui seul peut dire ». Ce petit quelque
chose qui fait qu’on y croit. Qui touche à l’intime de l’être.
Il reste à Laurence van Ypersele et à Emmanuel Debruyne
d’écrire , avec le même bonheur, le second tome, celui de la guerre de
l’ombre en 1940-1945. Je.pense surtout à Emmanuel Debruyne axant
ses recherches sur les services de renseignements belges durant la
Seconde Guerre mondiale . •
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