Et la douleur des mères ?

… Et les mères ? A-t-on parlé des mères ? C’est du ressort de l’émotionnel, on ne peut pas en parler, c’est indécent comme tout ce qui est sentiment vrai, vécu, de l’insupportable qu’on ne veut pas voir, pas sentir, pas éprouver. On veut du solide, du juridique, on veut des Dutroux, des Nihoul, des noms, des faits nus et bruts. On suppute : réseaux, ou pas réseaux ? La grande question qui tient en haleine les journalistes du monde entier. Les notables de ce royaume peut-être, qui sait ? Une friandise à se mettre sous la dent… Mais la douleur des mères, ça ne se vend pas, ça se dissimule, c’est indicible, c’est du domaine du ventre, du resserrement, des sanglots muets, de l’horreur cachée, dérobée, de l’imaginaire horrifié, de l’invention, du délire, de la projection de souffrances enfantines, ces enfants séquestrées, violées, manipulées par de grandes mains, ces petites filles qui appellent leur mère.

Revue générale, Avril 2004

Paris trompe l’oeil

Paris Trompe l’œil, des artistes dans la ville, (beau livre) en collaboration avec la photographe française Sophie Masson, éd. Somogy, Paris 2001.

Sophie Masson, photographe, puise son inspiration dans l’espace urbain. Depuis 1998, elle a arpenté les rues de Paris, détourné son regard de la froideur du bitume pour lever les yeux sur les façades, les palissades, les rideaux de fer. Elle découvre des murs peints, des graffitis, des trompe-l’œil, échappées de couleurs et de fantaisie, véritables œuvres d’art d’autant plus émouvantes qu’éphémères. Le texte d’Huguette de Broqueville apporte un éclairage particulier aux photographies. Elle nous livre une interprétation personnelle de ces images urbaines. Au lecteur d’inventer la sienne…

Extrait

L’œil des murs me regarde. Mon œil regarde les murs. L’efflorescence des couleurs, le vert criard des oies perdues, le rouge qui de sa fournaise éclipse l’enfer, la photographe a cadré, choisi l’angle, dénaturé l’œuvre du peintre. L’écrivain peut jouer. Va-t-il jeter sur le papier un peu de philosophie, de psychanalyse, d’idéologie, de théorie urbanistique ? Non. C’est l’appréhension de l’objet qu’il veut, comme le cartonnier a trouvé sa joie dans la conception du tableau, le peintre son plaisir dans le corps à corps avec l’échafaudage, les pots de couleur, le soleil ou la bruine. Ainsi l’écrivain s’imprègne de l’objet qui se donne à voir : la photo prise par la photographe.

L’œil des murs me regarde. Mon œil regarde les murs. L’efflorescence des couleurs, le vert criard des oies perdues, le rouge qui de sa fournaise éclipse l’enfer, la photographe a cadré, choisi l’angle, dénaturé l’œuvre du peintre. L’écrivain peut jouer. Va-t-il jeter sur le papier un peu de philosophie, de psychanalyse, d’idéologie, de théorie urbanistique ? Non. C’est l’appréhension de l’objet qu’il veut, comme le cartonnier a trouvé sa joie dans la conception du tableau, le peintre son plaisir dans le corps à corps avec l’échafaudage, les pots de couleur, le soleil ou la bruine. Ainsi l’écrivain s’imprègne de l’objet qui se donne à voir : la photo prise par la photographe.

La séduction du souffle

La séduction du souffle, livre d’artiste, encre d’Alain Tasso, éd. Les Blés d’or, Liban, 2000

Extrait

Elle pense à l’intelligence de cet homme qui trouve le mot juste
Tout est dans le juste
Même le damné qui brûle pour la justesse de ses actes
Même le juste béni de Dieu, qui a trouvé les mots pour le séduire
Et Dieu s’est laissé séduire
Invincible lorsqu’il est silence
Impuissant devant la force des mots
Contre les mots, il ne peut rien
Le mot le prend de court, le prend au lasso
Le mot est la victoire de l’homme sur Dieu
L’homme pétri de mots, là au téléphone

Dubla ispita sau patimile dupa Alexis

Dubla ispita sau patimile dupa Alexis, roman, La double tentation ou la passion selon Alexis paru sous le nom de l’auteur mais uniquement en roumain (manière de pseudonyme : même nom, autre langue). Traduit sur manuscrit par Dan Cristian Carciumaru, édititura universalia, Bucarest, 2000.

Extrait

Le maléfique, l’ignominieux, le pervers. Des substantifs qui, à jamais, font d’Alexis un pervers ignominieux et maléfique, alors qu’il est exquis, je le sais, une femme connaît un homme, dans la nuit des draps, ses mots, la rumeur de ce corps qui se bat contre la maladie et la mort, sa respiration divine, sa présence simplement, le miracle de sa présence.
Il pestait, descendait en flammes les éditeurs, les écrivains, tac, tac, tac, rafale de mitraillette, tous nuls, s’énervait, la leucémie lui donnait mal aux os,

 

Court traité de l’indignation

Depuis 50 ans, sous le diktat de la Flandre et du CVP, la Belgique, minée par ses querelles linguistiques, donnait à l’étranger l’image désastreuse d’un petit pays sans opinion vis-à-vis des problèmes internationaux. Aujourd’hui, elle monte au créneau. Elle a même promulgué la loi du 16 juin 1993, donnant « compétence universelle » aux tribunaux belges pour les crimes contre l’humanité et le génocide…. L’ensemble de la presse française reconnaît que « montrée du doigt il y a peu pour des affaires de corruption, de pédophilie et de dioxine, la Belgique se sent aujourd’hui assez sûre d’elle pour afficher une politique internationale éthique et courageuse ». Que s’est-il donc passé ? Un changement de régime tout simplement.

[…] On pourrait écrire un court traité de l’indignation, cette vertu oubliée qui, si elle n’est pas porté par une volonté, reste lettre morte. Que le monde s’arme, non par les armes, mais par l’indignation. Indignation contre les génocides, les enfermements arbitraires, les corruptions, le mensonge organisé. Ce sont les livres qui ont fait tomber le mur de Berlin, dit Elie Wiesel, et non l’économique, le politique, les affairistes. Les livres disent les affres de l’individu face à l’Institution souvent broyeuse qu’est l’Etat, la soif des lendemains qui chantent et ne viennent jamais, la stupeur de cette défaite, et aussi, la remise en question de ce Dieu qu’on a voulu tuer, qu’on a dit mort, et qui semble ressusciter… Ne peut-on pas s’indigner que, ce qu’il y a de plus grand en l’homme, sa faculté d’atteindre à une morale, soit à peine pris en compte dans le projet du « nouvel ordre mondial », dans le formidable gâchis qui secoue le monde et dont sortira peut-être quelque chose, oui, une chose ou un sujet. C’est le défi de l’Europe ici maintenant.

Europe plurilingue n° 19, Éditions Arles, mai 2000

Belgique : double culture, imaginaire pluriel

…… Aujourd’hui, plus que jamais, le français est banni de Flandre. En Wallonie, les jeunes élites étudient le néerlandais afin de devenir bilingues. Mais il existe encore des francophones de Flandre qui manient les deux langues. C’est dire qu’un Belge aura toujours cette truculence et cet accent qui le différencie du Français de France. Je n’échappe pas à mes deux terres et mes deux langues. J’aime l’écriture faite de rocaille wallonne ou de gourmandise flamande, c’est pourquoi, en littérature, Jean-Pierre Verheggen et Dominique Rolin me sont proches.
VERHEGGEN, patronyme à consonance flamande est wallon. Notre Rabelais, notre, porno-pudique s’amuse (mais c’est un jeu tragique) à glisser la langue, à déraper ses glossolalies…. Ce mélange de vrai français et de faux wallon apporte aux oreilles étrangères une langue qu’elles croient wallonne, alors qu’elle est pure Verheggen…

ROLIN, patronyme à consonance française, habille Dominique faite de cette bonne terre flamande, même si elle s’en défend (elle a fini par m’écrire : va pour la Flandre !) Car son terreau mythique n’est-il pas celle-là ? Et sa moedertaal le français ? Echte Belg, née à Bruxelles, de grand-mère néerlandaise, elle habite Paris.
Je pourrais évoquer trente ans d’amour fou ou l’accoudoir, ou la rénovation, tous, de cette écriture élastique qui prend au lasso le lecteur. C’est Dulle Griet qui m’attache ici :
…On croirait voir le célèbre tableau de Bruegel avec les narines de ses petits monstres dodus, les bouches ouvertes pour happer ou rejeter les mot-moutons fourmillants de couleurs et d’activités surprenantes, et un des mots-chefs, énorme, dégorgeant d’une bouche noire les acteurs minimes et insolite de la toiles. Tout y est de la vie : les soldats, la mer, un lampadaire dans lequel sont enfermés des corps nus, la FEMME, armurée et ménagère, protégée et nourricière, maîtresse de ce grouillement de vie qui, sans elle, ne serait que mort.

Europe Plurilingue, Editions Arles, décembre 1998

Le rire d’Eros

Quand Eros s’éteint dans les convulsions du plaisir, Thanatos se lève, étincelant. Ensemble, les frères siamois s’avancent masqués pour faire et défaire le monde. Ainsi, au seuil du troisième millénaire, en Asie, en Europe, en Afrique. Ainsi au Rwanda avec son million de victimes. Eros et Thanatos travaillaient l’ethnie hutue qui aimait et voulait garder son territoire. Eros et Thanatos travaillaient les Tutsis qui aimaient leur territoire perdu et guerroyaient pour le reprendre. Thanatos, armé de la haine aux yeux de méduse, était tapi au fond de chacun, au coeur d’Eros. Pendant trois mois, d’avril à juillet 1994, le rire divin et démoniaque d’Eros et de Thanatos, le rire de l’excès et de l’horreur quand une machette fend un cou et découpe un corps vivant…

P.E.N. Club Slovène, le 26/4/1998

Uraho ? Es-tu toujours vivant ?

Uraho ? Es-tu toujours vivant, roman sur le génocide rwandais, préface de Pierre de Boisdeffre, éd. Mols, 1997, Traduit par Miklos Bardos, posface de Janos Lackfi, éd. Harmat KiadoI Alapitvany, Budapest, 1999. Adaptation en roumain par Horia Badescu, éd. Casa Cartii de Stiinta, Cluj-Napoca, 2003, Traduit en finlandais par Jaakko Ahokas. Nombreuses critiques. Prix des Scriptores Christiani, 1998. Prix Henri Davignon de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique en 2000.

Le roman a une morale, une seule : la connaissance. Et ici, la connaissance de cette chose qui nous laisse sans voix : les massacres du Rwanda. L’auteur est descendue dans les profondeurs insoupçonnées de l’être humain, là où se côtoient les racines du mal et la spiritualité. Le processus implacable de l’horreur et celui mystérieux de l’amour, Huguette de Broqueville nous les fait vivre avec tant d’art qu’ils deviennent partie de notre vie.

Extrait

Antoine caresse sa machette. Alfred supplie. Ca se passe très vite. A peine le temps de voir. Le cerveau n’a pas la capacité de capter et de réagir, la machette coupe une main d’Alfred. Le sang gicle, la femme hurle. Cyprien tue la femme d’un coup dans la carotide ; les enfants voient le sang jaillir comme une source au printemps, une saignée rouge de l’orchidée sauvage au cri de la mère. Antoine tranche l’autre main d’Alfred. Sur le sol de plus en plus rouge, la petite fille court ramasser la main de son père et tente de la coller au moignon,

La série des bécasses

La série des bécasses, Parution dans la revue littéraire Marginales d’où est né un petit personnage, la bécasse :
Souviens-toi que tu es poussière, 2001 ; la bécasse et Poutine 2001 ; la bécasse à Bethléem, 2002 ; la bécasse chez les Flamands, 2002 ; euro qui comme Hugo, 2002 ; la bécasse et la drôle de guerre, 2003 ; Justine et Justine, 2003 ; David et Jihane, 2004 ; Oh ! Douce Flandre que j’aime malgré tout, 2004 ; le gamin Jojo, 2005 ; la valse lumineuse de la bécasse, 2006 ; la bécasse sur la toile, 2006 ; La bécasse et la banque face à face, 2006 ; Les sept péchés capitaux, (sur Yves Leterme) 2007 ; Asmodée, (sur Yves Leterme suite) 2007. Comme on dit en bon français, (sur Yves Leterme suite encore) 2008. Oui, un Black, 2008. Ces merveilleux nuages, 2009. (Le site se feuillette comme un magazine avec photos prises par l’auteur :

 

Le néant travesti

Trois jours que je n’écris plus faute de temps. Le temps fautif s’est dérobé dans le choix des vinyles qui habilleront notre chambre, le « bordel » (lieu d’écriture), la salle de bain et le bureau de N. Ce qui précède m’ennuie à périr. Par contre, j’aime dire ce qui traverse mes viscères, mon plexus, le cerveau, alors je jouis l’écriture. Ignoré des médicastres et autres philosophes, le plexus se nourrit d’infini et de terrestre (ce mot sabote ma phrase et me plonge dans le Hussard bleu, avec sa résonance de feuilles croquantes et d’humus, d’odeurs et d’automne rouge et ocre), ce réel qui tout à coup surgit dans le vide du « bordel », le chant des oiseaux et le bruit des avions, la torpeur malgré tout d’un jour qui commence et d’une page qui s’achève. Ainsi les pensées tièdes, quelques cicatrices qu’on n’ose gratter, qu’on refuse de gratter car enfin la santé et l’équilibre tentent leur chance, des bribes de héros mêlés à mon quotidien, tout cela peut-il faire un livre ?

 

Sinn und Sinn-Bild (festschrift für Joseph P. Sterlka), Verlag Peter Lang, 1987