Le gentil morse est mort

François Caradec m’a toujours horriblement intimidée. Je me souviens de mon premier colloque en 1984 à Verviers, sur le thème Raymond Queneau poète, où, invitée par André Blavier, je présentais à l’illustre assemblée quenienne (1), la méthode de L’étrange volupté de la mathématique littéraire, appliquée à l’analyse de la Petite Cosmogonie portative.
Lors de la discussion qui a suivi ; bien sûr, de son point de vue, Caradec avait raison ; bien sûr, du mien, j’avais raison. C’est que nous n’étions pas dans la même galaxie. Lui, plongeant dans les stricts signifiants, moi, partant des signifiants pour bondir dans l’acte créateur même, la mouche mathématique qui chatouille l’auteur, le point ultime de l’intime… François Caradec avait son truc, j’avais le mien. Je regardais cet homme d’aspect confortable, j’écoutais les mots sortir de sa bouche, je voyais sa tête de morse (la moustache manifestement), sa placidité apparente de grand amphibien, et, me disais-je, sans doute aurais-je à connaître sa morsure. Il ne m’a pas mordu, juste, le frôlement de ses défenses.

Les Amis de Valentin Bru (AVB), N° 52-53, 2008