La bonne odeur des rides

… L’homme se lève, se lave, brosse ses dents, se peigne, habille son corps, lace ses souliers, marche dans la chambre et ce faisant, marcher, il repousse l’air devant lui, l’anéantit afin de vivre lui, l’homme.
L’homme quelconque fait des choses quelconques à longueur de journée, 16 heures de déambulation à l’intérieur de lui-même s’il est bureaucrate, à l’extérieur s’il est marchand ambulant. Les mille et minis actions tissent le tempo du jour que les rêves détricotent la nuit.
L’homme quelconque devient premier ministre. Il tient le pays à bras le corps. Dans le meilleur des cas, il passe son temps à penser aux démunis. Dans le pire des cas, il ne pense qu’à sa gloriole et les démunis s’évanouissent de son esprit. Le temps érode son pouvoir, il sera blackboulé aux prochaines élections.
L’homme quelconque se met à aimer. Le temps s’élargit, s’amplifie telle une montgolfière de bonheur et d’illusion qu’il chouchoute, que, pour rien au monde, il ne voudrait dégonfler dans un acte suicidaire. Il aime, il est immortel. Il étire le temps et martèle en lui le toujours de l’amour. Mais le temps dégonfle la montgolfière, crème de beauté, gymnastique, rien n’y fait, souriez, vous êtes filmés.
Sur terre, cependant, des petits vieux se donnent la main. Ils ont trouvés l’emploi du temps, la formule magique. Le temps n’a plus de prise sur leur amour. Ils parcourent la route vierge du temps. Ils aiment la bonne odeur de leurs rides.
Le Non-Dit n° 80/81 Septembre 2008